Une dernière brise

Publié le par jumellesloupes

Tel que l’avait écrit Proust, il éprouvait à parer son corps dolent. Il ployait sous le faix de l’approche de son décès, croulait sous les cicatrices de l’âge. Il tentait en vain d’euphoriser son esprit à travers diverses lectures et divers aliments exotiques, mais toujours reprenait le dessus ce tyrannique malaise qui l’incapacitait et le rendait presque comateux. Il s’évadait dans les salles de théâtre et le septième art, mais ce n’était que pour revenir plus brutalement à la réalité. Aussi, il n’avait d’autre choix que d’accepter sa fin et l’attendre avec toute la patience dont il disposait.

Cependant, la ville du musée du Guggenheim était trop agitée et bruyante pour que soit convenable son agonie. Il désirait une certaine oisiveté de son entourage pour pouvoir écrire et décrire sa propre mort avec force images et descriptions, mais son lieu de résidence nord-américain, ville où trônait la Statue de la Liberté, ne possédait pas ce calme et cette paix. La ville semblait en constante agitation, faite de bruits et de temps dont on ne disposait pas. Les millions de canaris motorisés en perpétuel mouvement et leur chant aggressant éveillaient les sens au lieu de les appaiser. Toutes les grandes villes étaient agitées, mais le centre commercial et financier de l’occident abritait plus d’esprits criards et de gens pressés, plus de marchands accaparants et d’ivrognes suppliants, plus d’odeurs sales et brunes, plus d’ombre et moins de soleil, moins d’arbres et plus de béton armé, bref, moins d’avantages et plus d’inconvénients que les autres grandes villes.

Voulant trouver quiétude, il se fit conduire dans divers havres de pureté, mais aucun ne convenait. Aucune maison de retraite, aucun chalet, aucune résidence secondaire n’était assez immobile à son goût. Tous étaient certes magnifiques, naturellement entourés de verdure, mais toujours la route les rejoignaient et involontairement mais inévitablement le bruit citadin avec elle. Il alla même jusqu’à visiter le pays du septentrion pour trouver un abris de rondins en plein cœur de la forêt de conifères, et il trouva quelque chose de plaisant, alors il entreprit d’en faire l’achat.

L’objet de sa convoitise était situé en montagne, mais pas en montagne de très haute altitude, car cette montagne était luxuriante de verdure, de conifères et d’arbres feuillus, aux couleurs folles de l’automne. La seule route qui permettait d’y accéder n’était pas pavée, elle était faite de gravier d’une couleur jaune virant au ocre, et en dessous des plus gros morceaux de roche, le sol se changeait en sable fin et poussiéreux. Un grand lac limpide et mort, où l’eau ne vivait pas plus que les poissons, les grenouilles, les ouaouarons, les tétards et les nénuphars aux fleurs jaunes qui n’y habitaient pas. Ainsi, en s’installant dans ce nirvana d’air pur et de vent frais, il pourrait purifier ses poumons et les réapprovisionner en oxygène, chose qui, lui semblait-il, n’existait pas dans la ville de la Cinquième Avenue.

Il pourrait, dans sa nouvelle demeure, partir les matins de printemps à la recherche de têtes de violon encore jeunes et vertes, et les matins humide en quête de bolets énormes, de chanterelles si délicieuses, de morilles poreuses et autres champignons si succulents. Il pourrait entretenir un jardin si son corps ne le faisait pas trop gémir, il pourrait cueillir des baies de toutes sortes et admirer les fleurs sauvages qui ne poussent pas en ville.

Pendant un temps, il put le faire. Un temps étonnamment long, considérant son état de santé lamentable lorsqu’il se trouvait à la ville, comme si les arbres et le vent frais l’avaient rajeuni, comme si le fait de sa hauteur l’avait rapproché d’un Dieu qui, fier de son fils, l’avait récompensé par la prolongation d’une vie touchant à sa fin. Mais vint un jour où la maladie le pris et le cloua à son lit, et le fit dormir des semaines durant, pis finalement, vint le jour où il s’éteint, en forêt, sans fils ni héritage, sans famille ni proches ni voisins, ayant pour seule compagne la montagne sifflante, seul, mais heureux et le sourire aux lèvres.

Publié dans Écrits ludiques

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article