Le théâtre en tant que représentation de la figure humaine

Publié le par jumellesloupes

Texte écrit dans le cadre d'un examen sur table du cours «Formes et fonctions du spectacle vivant 2: du 19e siècle à nos jours». Comme je n'ai plus accès à la question dont ce texte constitue la réponse, je l'ai réécrite de façon approximative, avec le plus de fiabilité possible.

 

 

Question: «Peut-on dire qu'avec l'usage de la marionnette chez Craig, Kantor et Kleist, l'histoire du théâtre en est une de la représentation de la figure humaine?»

 

Je ne sais pas si l'on peut parler de «représentation de la figure humaine» en tant que tel, mais je crois en tout cas qu'on peut parler de «représentation de la figure humaine idéalisée et dénaturée». La différence entre les deux vient de ce que la première est beaucoup plus générale que la seconde.

Si l'on se base sur Kleist, Craig et Kantor, on peut effectivement dire que le théâtre est une représentation de la figure humaine idéalisée et dénaturée. Chez Craig, par exemple, on ne représente pas l'homme en tant que tel, mais bien la perfection corporelle d'un être humain dépourvu de sentiments, et qui trouve la vie et sa beauté dans la rigidité sereine du corps de pantin (image de mort) et dans l'exagération de tout (tailles en dehors de la taille humaine, gestes se basant forcément sur les gestuelles humaines et pourtant impossibles à réaliser humainement). Il ne s'agit donc pas d'une figure humaine normale, mais d'une idéalisation.

Chez Kleist, l'usage de la marionnette, et qui plus est animée par un mécanisme agit comme un «déni» de la forme humaine grossière dans sa totalité. On rejette ses émotions et la fluidité de ses gestes, et il nous reste un pantin qui représente un homme dénué de vie et de sentiment. Et comme la représentation de la figure humaine se fait par la reproduction, ou du moins l'exposition ou le travestissement du sentiment, de la vie et du geste fluide et spontané, vibrant, on se retrouve encore une fois avec une représentation uniquement partielle de la figure humaine.

Kantor est celui des trois qui rend le mieux la figure humaine à travers l'usage du corps inerte. Le mannequin, chez lui, ne cherche pas à remplacer l'acteur, mais bien à en être le prolongement, la réplique, «l'interlocuteur». Il sert à montrer l'homme autrement, dans l'inertie de la mort, dans l'absence de tout ce que fait l'acteur sur une scène. L'acteur bouge par lui-même, le mannequin doit être manipulé par l'homme pour effectuer un mouvement. L'usage du mannequin ne cherche par ailleurs pas à remplacer l'acteur ou «faire exploser» la grâce du corps. À travers l'usage mort du mannequin, on cherche à mettre en évidence la vie de l'acteur et ce qui attends l'homme à la fin du parcours de l'existence; il n'y a pas là de fioriture stylistique dans la gestuelle et l'émotion. On pourrait donc affirmer que le mannequin du théâtre de la mort de Kantor sert vraiment à représenter la figure humaine.

Si l'on ne se basait que sur ces trois exemples, on pourrait assurément dire que non, l'histoire du théâtre n'est pas celle de la représentation de la figure humaine. Des trois, Kantor est le seul n'idéalise pas et ne réduit pas. Mais cela n'est qu'un seul aspect. Si, par ailleurs, on considère l'idéalisation comme la mise en évidence de ce qui n'est pas idéalisé, alors dans ce cas Craig et Kleist font aussi la représentation de la figure humaine, et la réponse à la question devient affirmative.

Toutefois, je me sens obligé d'entretenir des réserves par rapport à ce dernier point. Il me semble impossible de définir l'histoire du théâtre en ne m'appuyant que sur trois hommes, qui de surcroît ont utilisé un outil semblable. Il serait en effet réducteur de faire une affirmation aussi tranchée en examinant une si petite partie de l'histoire théâtrale. Pour pouvoir faire une réponse adéquate, il eût fallu examiner l'œuvre théâtrale sur une échelle beaucoup plus vaste, et en se basant sur des écoles beaucoup plus variées. Mais encore, il est possible à nouveau d'amener le contre-argument que j'ai précédemment utilisé: la parcelle, la fraction, ne sert-elle pas à exposer et mettre en évidence le tout? Nous nous retrouvons forcément embourbés dans une spirale rhétorique infinie...

Ma réponse finale sera donc la suivante: si l'on se base uniquement sur les trois hommes ici examinés et qu'on considère qu'ils mettent en valeur la globalité de l'œuvre dramatique mondiale à travers les âges, oui l'histoire du théâtre en est une de la représentation de la figure de l'homme. Si, au contraire, on préfère faire la fine bouche et jouer sur les mots, alors non, l'histoire du théâtre n'en est pas une de la représentation de la figure de l'homme.

Publié dans Écrits académiques

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