Dissertation sur Antigone de Jean Anouilh

Publié le par jumellesloupes

La pièce de théâtre Antigonede Jean Anouilh, criante d’actualité malgré ses soixante-dix ans, lourde et magnifique présente deux personnages principaux très différents, voire opposés, qui représentent chacun au moins une partie de nous-même. L’un d’eux, celui de Créon, présente une opposition magnifiquement rendue, personnage à l’humanité terrible, personnage non dépourvu de défauts malgré ses bonnes intentions, et humble face à la vie, contrairement à son antagoniste Antigone, naïve et pleine de fougue, il fera l’objet de la présente dissertation. Il sera premièrement traité de son côté autoritaire et du sens du devoir à travers son aspect autoritaire et dur et de son aspect terre-à-terre et juste. Ensuite sera présenté le côté sensible de Créon, côté prédominant de par l’aspect artistique et délicat du personnage et de l’aspect aimant et père de famille de l’homme.

 

Tout d’abord, Créon, sera vu en premier par les spectateurs comme un dictateur froid asseyant sa tyrannie sur tous les moyens possibles, même la torture. Ceci est d’autant plus vrai que lors de la première représentation de la pièce, les spectateurs lui donnaient les caractéristiques et les ruses des collaborateurs de la France de Vichy. En effet, Créon est un roi qui, malgré sa petitesse, reste très imposant et intimidant, même pour ceux qui habituellement n’ont peur de rien, tel le garde dans l’extrait suivant :

Créon : Qu’as-tu à me dire?

Le garde : On est trois, chef. Je ne suis pas tout seul. Les autres c’est Durand et le garde de première classe Boudousse.

[…] Créon : Non, parle toi puisque tu es là.

Le garde : J’ai dix-sept ans de service. Je suis engagé volontaire, la médaille, deux citations. Je suis bien noté, chef. Moi, je suis «service». Je ne connais que ce qui est commandé. Mes supérieurs ils disent toujours avec Jonas on est tranquille. (pages 47-48)

Créon, roi autoritaire, n’hésite pas à faire l’usage de la seconde personne pour interroger son interlocuteur alors que celui-ci fait usage de la troisième personne et prend mille détours pour mentionner le constat qu’il vient rapporter. Ce garde, d’ailleurs, est effrayé par Créon en dépit de sa propre carrure de malabar : «Le garde entre. C’est une brute. Pour le moment il est vert de peur.»(page 46 ) Lors, de l’interrogatoire d’Antigone, Créon n’hésitera pas à user de la force pour l’influencer ou la contraindre à prendre une décision qu’elle refuse de prendre : «Créon(lui broie le bras) :Je t’ordonne de te taire maintenant, tu entends?» (page 96) Il fait mal et le sait, mais n’en a cure.

Antigone :Lâchez-moi. Vous me faites mal au bras avec votre main.

Créon(qui serre plus fort) :Non. Moi je suis le plus fort comme cela, j’en profite aussi.

Antigone(pousse un petit cri) : Aïe! (page 75)

En somme, Créon est ici présenté comme étant très dur et intransigeant, mais malgré ce défaut, il n’en reste pas moins un homme juste et terre-à-terre ayant une noble vision de son rôle et de la loi.

 

Ensuite, Créon le juste, désire avant tout que l’ordre règne et soit respecté de tous, aussi bien du peuple que des gens de la noblesse et de la caste supérieure. Il veut utiliser son titre de roi pour rendre la justice plus égalitaire et la loi plus juste, pour que tous soient égaux face à elle. «Créon : La loi a d’abord été faite pour toi Antigone, la loi est d’abord faite pour les filles des rois.» (page 67) Il est obligé de la faire régner même si elle est déplaisante, comme l’illustrent les passages suivants : «Antigone : Et vous l’avez fait tout de même. Et maintenant, vous allez me faire tuer sans le vouloir. Et c’est cela être roi! /Créon :Oui, c’est cela!» (page 80) «Créon : […] Écoute-moi tout de même pour la dernière fois. Mon rôle n’est pas le bon, mais c’est mon rôle et je vais te faire tuer.» (page 84) En outre, Créon voit son rôle comme un métier et un devoir, une tâche qu’il doit accomplir avec dévotion et ardeur.

Créon : […] Thèbes a droit maintenant à un prince sans histoire. Moi, je m’appelle seulement Créon, Dieu merci. J’ai mes deux pieds par terre, mes deux mains enfoncées dans mes poches et, puisque je suis roi, j’ai résolu, avec moins d’ambition que ton père, de m’employer tout simplement à rendre l’ordre de ce monde un peu moins absurde, si c’est possible. Ce n’est même pas une aventure, c’est un métier pour tous les jours et pas toujours drôle, comme tous les métiers. Mais puisque je suis là pour le faire, je vais le faire… (pages 68-69)

Ainsi, Créon, l’homme de loi, de justice et de colère peut sembler bien méchant et contrôlant. Il ne faut cependant pas oublier qu’avant d’être roi, Créon était un artiste et un rêveur, et cette facette laisse en toile de fond une grande complexité psychologique, très représentative de son tempérament.

 

Suite à cette facette dure de Créon, il convient d’examiner sa facette sensible. Créon est un homme délicat et doté du sens artistique. Il est dit de lui «[qu’]avant, du temps d’Œdipe, quand il n’était que le premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles reliures, les longues flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes.» (page 11) Ceci est d’autant plus vrai que le personnage l’affirme lui-même indirectement en utilisant ces mots : «Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes. Et Dieu sait si j’aimais autre chose dans la vie que d’être puissant…» (page 78) Par ailleurs, Créon se décrit aussi comme étant une personne qui aime les choses propres et bien faites, consolidant la théorie du Créon doté de sentiments autres que la colère et la haine : «Créon : […]D’abord, je ne suis pas tendre, mais je suis délicat; j’aime ce qui est propre, net, bien lavé. Tu crois que cela ne me dégoûte pas autant que toi, cette viande qui pourrit au soleil?» (page 77) Il se décrit de la sorte malgré toutes les métaphores et les images de l’ouvrier travaillant dans la crasse et transpirant à grosses gouttes, tel que la suivante : «Créon :Pour dire oui, il faut suer et retrousser ses manches, empoigner la vie à pleines mains et s’en mettre jusqu’aux coudes.» (page 83) Suite à l’analyse de ces répliques, il est possible de voir à quel point Créon n’est pas un homme qui ne fait que haïr et détruire. Il est avant tout un homme qui aimait la vie et les belles choses, ce qui était porteur d’émotion et faisait rêver. Il est toutefois encore plus humain que cela. Créon est père de famille et cet aspect est très visible lorsqu’il répugne à faire appliquer la loi, cette loi qui va tuer sa nièce et fiancée de son fils.

 

Créon(Il la regarde, souriant) :Te faire mourir! Tu ne t’es pas regardée, moineau! Grossis un peu, plutôt, va faire un gros garçon à Hémon. Thèbes en a plus besoin que de ta mort, je te l’assure. Tu va rentrer chez toi tout de suite, faire ce que je t’ai dit et te taire. Je me charge du silence des autres. Allez, va! Et ne me foudroie comme cela du regard. (pages 69-70)

Ces mots évoquent de manière touchante et humble, vraie, l’affection que porte Créon à sa nièce et à son fils. Il aime Antigone et Hémon, Hémon aime Antigone, et la loi va tuer Antigone. Créon redoute donc cette exécution qui va blesser son fils. Il veut l’éviter à tout prix : «Créon :Alors, aie pitié de moi, vis. Le cadavre de ton frère qui pourrit sous mes fenêtres, c’est assez payé pour que l’ordre règne dans Thèbes. Mon fils t’aime. Ne m’oblige pas à payer avec toi encore. J’ai assez payé.» (pages 80-81) «Créon(se rapprochant) :Je veux te sauver, Antigone.» (page 74) Créon dit à Antigone en mots voilés qu’il l’aime et qu’il ne veut pas qu’elle meure :

«Créon(il la regarde [Antigone] encore. Il redevient grave. Il lui dit tout près.) :Je suis ton oncle, c’est entendu, mais nous ne sommes pas tendres les uns pour les autres, dans la famille. Cela ne te sembles pas drôle, tout de même, ce roi bafoué qui t’écoute, ce vieux homme qui peut tout et qui en a vu tuer d’autres, je t’assure, et d’aussi attendrissants que toi, et qui est là, à se donner toute cette peine pour essayer de t’empêcher de mourir?» (page 76)

Antigone, bornée et fougueuse, refuse de vivre, semble-t-il. Elle méprise son oncle qu’elle considère faible, elle le provoque et le nargue. Créon délaisse donc les mots cachés et, au seuil du désespoir, lui demande presque en suppliant de vivre : «Créon(sourdement) :Eh bien, oui, j’ai peur d’être obligé de te faire tuer si tu t’obstines. Et je ne le voudrais pas.» (page 79) Créon, roi de Thèbes, n’est pas le démon luciférien auquel il est associé. C’est un homme et un père, c’est une personne au sens artistique développé, aimant son fils et sa nièce, ne voulant la mort ni de l’un ni de l’autre. C’est un personnage complexe et brisé, déchiré par son devoir s’opposant à ses sentiments.

 

Pour terminer, il est possible de voir que Créon est un homme qui peut se révéler dur et autoritaire, et qui ne dédaignera pas utiliser la force pour arriver à accomplir ses desseins. Malgré cela, il est aussi vu comme un homme sensible, aimant l’art et la délicatesse, aimant son fils et sa nièce, redoutant leur mort ou leur douleur, prêt à tuer pour les protéger. Suite à cette explication du personnage, que peut-il être dit d’autre à propos de la pièce? Jean Anouilh a affirmé que sa pièce Antigone était une tragédie. Est-ce vrai? La tragédie est un type de pièce se déroulant dans la Grèce antique, or, il est fait mention dans le texte d’objets contemporains et d’activités contemporaines, tels que les balles de fusil et de pistolet, les voitures, etc. Celles-ci deviennent donc des anachronisme et ne détruisent-ils pas l’étiquette de tragédie que l’auteur confère à sa pièce?

Publié dans Écrits académiques

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